Transports : plus dure sera la fraude

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Transports : plus dure sera la fraude

Epinglées par la Cour des comptes pour un taux de resquille trop élevé, la SNCF et la RATP tentent de réagir à moyens constants. Le point sur les nouvelles stratégi…
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Lors d’une campagne de sensibilisation contre la fraude effectuée le 5 avril par la RATP à Porte d’Orléans (au sud de Paris), sur la ligne de tramway T3a. Photo Stéphane Rémaël pour Libération

Epinglées par la Cour des comptes pour un taux de resquille trop élevé, la SNCF et la RATP tentent de réagir à moyens constants. Le point sur les nouvelles stratégies.

Elles s’appellent Hector ou Eiffel pour les grandes occasions. Deux noms pour désigner des opérations antifraude menées sur Transilien, le réseau francilien de la SNCF, qui se multiplient ces derniers mois. En 2015, l’opérateur ferroviaire a ainsi lancé un plan destiné à «renforcer son engagement» dans la lutte contre la resquille, avec notamment une «adaptation des moyens de contrôle» à bord des trains et en gare. Des actions «tolérance zéro». La Régie autonome des transports parisiens (RATP), l’autre grand opérateur en France, montre aussi ses muscles. Dans un communiqué de mars, elle dit «amplifier sa politique» sur le sujet.
A ces deux professions de foi s’ajoute un élément nouveau : la loi (Gilles) Savary – du nom du député socialiste de Gironde rapporteur du projet – adoptée début mars, qui renforce les outils destinés à contourner les fausses identités et à recouvrer les impayés. Désormais, un fraudeur qui ne peut présenter une pièce d’identité lors d’un contrôle pourra être retenu en attendant l’arrivée de la police. Les opérateurs pourront également interroger le fisc ou une autre administration publique pour retrouver sa (vraie) adresse et ainsi éviter que 50 % des PV ne reviennent en NPAI («n’habite pas à l’adresse indiquée»), comme c’est le cas actuellement.
La chasse aux resquilleurs bat donc son plein, ce qui réjouit ce responsable SNCF : «C’est une lame de fond global. A force d’être martelée, elle va progressivement fermer la voie à la fraude.» La marge est importante : la RATP estime à 100 millions d’euros le coût de la fraude sur son réseau, la SNCF l’évalue à 300 millions, dont 63 pour le réseau Transilien. Et encore, en ce qui concerne le réseau ferré national, ces estimations sont en dessous de la réalité, de l’aveu même de la SNCF. Ces montants ne tiennent pas compte non plus des moyens financiers engagés pour lutter contre la fraude. En Ile-de-France, RATP et SNCF réunies, ce montant consolidé se chiffrait à 366 millions d’euros en 2013 selon la cour des comptes, qui, dans un rapport de février dernier, parle d’un «échec collectif». «L’importance quotidienne des flux de voyageurs ne facilite pas les opérations de contrôle», écrit-elle. Et «la faible valeur unitaire du titre de transport tend à minimiser dans l’opinion des voyageurs [la] gravité de la fraude».
Frauder dans les transports publics, une spécialité française ? Oui, insiste la Cour des comptes, qui cite une étude internationale portant sur des données de 2008 et 2009 comparant le réseau francilien avec ses équivalents dans le monde : «Le taux parisien (8,9 %) était le plus élevé de l’échantillon contre respectivement 1 %, 1,9 % et 2,18 % pour les réseaux de bus de Londres, Bruxelles et New York en 2009, sans même évoquer le réseau de bus de Singapour qui déclarait un taux de 0,089 %.» 0,089 % de fraude, un rêve… voire un score soviétique inversé. Aucun opérateur n’imagine atteindre ce niveau. Mais peut-être peuvent-ils espérer s’en approcher ? Les moyens humains restant à niveau égal sur leur réseau, la RATP et la SNCF en Ile-de-France élaborent de nouvelles stratégies de contrôle des titres de transports, misent sur de grosses opérations visant à imprimer les esprits et étendent l’étanchéité des lignes et des quais.

Opérations Eiffel, Twoday, Optim… tendre des pièges à répétition

Il y a trois types de fraudeurs : l’opportuniste qui profite d’un portillon ouvert, l’indécrottable qui sautera les tourniquets devant une rangée d’agents et le calculateur qui se dit qu’un PV mensuel coûte moins cher qu’un abonnement. Ce dernier fait l’objet d’une attention particulière. «Il faut lui faire comprendre que ce n’est plus rentable», explique Michel Bendjiriou, responsable du réseau Paris-Nord.Dans les deux prochains mois, une vingtaine d’actions d’ampleur sont notamment prévues sur la ligne H (dans le nord de l’Ile-de-France). «On mise beaucoup sur la répétition. Par exemple, on fait la même gare trois jours de suite à la même heure», poursuit Bendjiriou. Il teste actuellement l’opération Twoday sur le RER B : «On va contrôler deux fois dans la même gare, le matin entre 7 heures et 10 heures et le soir entre 16 heures et 19 heures. Les cols blancs viennent le matin, ils sont contrôlés, ils reviennent le soir, ils le sont encore.» L’opération Eiffel consiste à définir une gare pivot sur une ligne, la plus passagère, puis à contrôler tous les trains et toutes les gares voisines. «On sature tout un axe aux heures de pointe», résume Michel Bendjiriou. Autre astuce : le bouclage de plusieurs gares d’un même tronçon. «Dans le train, le fraudeur va se placer près de la porte qui donne sur la sortie, explique-t-il. S’il voit des agents, il restera dans la rame et descendra à la gare d’après pour acheter un billet et revenir en arrière.» Pour le coincer, et en misant sur sa baisse de vigilance, une équipe y sera aussi présente. «On essaie de contrôler quatre gares contiguës en simultané.» Autre méthode à succès, l’Optim : «Les verbalisations sont quatre fois supérieures que lors de contrôles classiques.» Des équipes très mobiles de dix agents sillonnent les trains, multiplient les gares et les rames, sont connectés sur les applis et les réseaux sociaux pour voir s’ils sont repérés. Le cas échéant, ils changent de ligne.

Bouclages de gares, effrayer le (futur) resquilleur

Mercredi 16 mars, sur Twitter : «A Gare du Nord, y a des contrôleurs partout. J’me suis fait contrôler quatre fois, svp !» Et aussi : «Je n’ai jamais vu autant de contrôleurs dans toute la gare. Le terrain est miné.» C’était une opération tsunami, comme l’appelle Michel Bendjiriou, responsable anti-fraude du réseau nord du Transilien : 350 contrôleurs et agents de sécurité ont verrouillé la plus grande gare d’Europe – 700 000 voyageurs, 2 100 trains quotidiens, 5 niveaux. Pas une ligne de contrôle automatique des billets (CAB), pas une sortie de quai de métros sans sa brigade siglée SNCF ou RATP. Bilan de l’après-midi : 1 571 verbalisations pour 12 000 euros de recettes immédiates.
Mercredi 6 avril, sur la plateforme sociale «Checkmymetro» : «Trolls dans T2 direction Bezons.» Ou, deux jours plus tôt : «Gros rats verts sortie T2.» Des dizaines d’«oiseaux» et de «petits hommes verts» – comme ils sont notamment surnommés – ont été quotidiennement mobilisés du 21 mars au 15 avril pour une opération d’ampleur sur les trois lignes de tramway les plus fréquentées, au nord, à l’ouest et au sud de Paris. Ici, pas d’opération surprise : les contrôles ont été annoncés par affichage et par haut-parleurs, et les agents ont distribué des tracts de sensibilisation dans les stations. «Nous voulons montrer que nous sommes présents sur le terrain», explique Franck Avice, responsable relation client, service et espaces à la RATP.
Marquer les esprits, c’est bien le but de ce type opérations. «Notre volonté, ce n’est pas de pruner pour pruner», explique Bernard Rousseau, directeur délégué à Transilien. Mais d’orienter les potentiels resquilleurs vers les guichets, de les «sensibiliser» au principe de paiement. Et de montrer qui est le patron. Lors de l’opération en gare du Nord, un responsable avouait qu’il y a quelques années encore, «les flux étaient ingérables, les gens tellement mécontents que cela pouvait vite déborder. Depuis deux ans, on reprend le contrôle».
Au cours des huit derniers mois, quatre grosses opérations de bouclage ont été menées sur cette gare. Sur la même période, le taux de fraude y a baissé, passant de 7 % à 4 %. Le nombre de validations des pass Navigo aux portiques y a augmenté de 10 %. Le dézonage de la carte d’abonnement – 70 euros par mois – en septembre a sûrement joué, «mais pas à hauteur de 10 %, assure Michel Bendjiriou, c’est clairement un effet de la lutte antifraude».
Ces bouclages seront intensifiés, annonce la SNCF, certains ont déjà été menés à Montparnasse et Saint-Lazare. «Mais aussi sur des plus petites gares, ajoute Bernard Rousseau. On veut montrer qu’on est partout et tout le temps.» La RATP prévient que l’opération «Ensemble contre la fraude» «sera vite appelée à être renouvelée et étendue à d’autres lignes».
Autre action dite de «visibilité» menée à Transilien : «Tous sur le pont». Des grosses opérations de contrôle sont menées sur cinq ou dix lignes franciliennes, rebelote le lendemain sur un nombre équivalant de ligne, et ainsi de suite pendant une semaine. La première a été organisée en novembre, une autre est programmée en mai. Autre exemple récent : début avril, les 14 gares du réseau nord du RER B ont été contrôlées simultanément pendant trois heures, en période de pointe. «Ça n’avait jamais été fait auparavant», se vante Bendjiriou. Des actions qui sont aussi des opérations de com à destination des usagers en règle. «Il est important de montrer qu’ils ont raison de payer», plaide Franck Avice. Même discours au mot près à la SNCF.

Portiques, cloisonner le réseau 

Le moyen le plus efficace imaginé pour bloquer les resquilleurs est de cloisonner le réseau, avec des portiques de validation. Le taux de fraude dans le métro parisien était de 3 % en 2015. Un chiffre quasi incompressible, assure Franck Avice, qui a redéployé ses agents vers le réseau de surface – trams et bus – où ce taux s’élève à 12 %. «Nous allons continuer en 2016, car c’est encore trop élevé.» Difficile en revanche d’imaginer un parcours de tram entièrement grillagé. «Le principe a été étudié, explique le responsable RATP. Des expérimentations restent possibles, mais ce n’est pas l’arme absolue, puisqu’il faudrait totalement fermer une ligne.» Outre le coût prohibitif, le visage de la ville en serait radicalement modifié. «Ce n’est pas l’idée qu’on se fait du tramway, qui doit rester un mode de transport ouvert sur la ville», dit-il.
A la SNCF, l’hermétisation du réseau francilien se poursuit. D’ici à 2019, 50 % des gares (40 % aujourd’hui) seront équipées de portiques, ce qui concernera 90 % des 3 millions de voyageurs quotidiens. Le gros chantier : Saint-Lazare, dernière gare parisienne où il est possible de monter dans un train de banlieue sans validation préalable. Le réseau national est aussi de plus en plus étanche. Des portiques sont testés depuis janvier à Montparnasse et Marseille, à l’entrée des quais TGV. Sans donner de chiffre, la société assure que le taux de fraude «a baissé significativement». En 2017, l’expérimentation sera étendue à huit autres lignes TGV.

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